J’ai toujours trouvé que les voyages étaient horriblement longs, raison pour laquelle en règle générale je fais toujours en sorte de m’épargner cette peine après tout mon statut me permet d’avoir des gens qui le font pour moi. Seulement voilà, certaines tâches bien particulières ne peuvent être déléguées, dans la mesure où je ne suis pas certaines de pouvoir me fier à quiconque d’autre qu’à moi-même. Alors me voilà, dans cette carriole malodorante ballotée selon les cahots de la route, rien à voir avec le luxe auquel je suis habituée, c’est là l’un des multiples inconvénients des déplacements incognito.

En plus il fait chaud ici, en tout cas pour moi, j’ai toujours l’impression de suffoqué quand je m’aventure loin de mes hauteurs balayées par le vent et la neige. L’air ici est comme de l’eau stagnante pour moi, il est lourd et me colle à la peau comme un linge tiède et humide. Vivement que j’en termine avec cette affaire pour rentrer au plus tôt. D’autant plus que personne ne sait que je suis là, ma femme de chambre la plus dévouée est la seule dans la confidence, pour le reste du palais je suis seulement en train de refuser de quitter ma chambre.

J’espère que cet imbécile ne me fera pas attendre plusieurs jours comme la dernière fois avant de se montrer, je me souviens encore avec dégoût des nuit que j’ai passé dans une auberge à la qualité plus que médiocre je suis presque sûre d’avoir entendu des bestioles galoper entre les murs… Mais tous ces désagréments sont inévitables, à cause d’elle, de cette maudite gamine, la fille illégitime de mon inconscient d’époux. Ce n’est pas parce qu’elle n’est plus entre les frontière de mon royaume que je ne dois pas garder un œil sur elle.

C’est précisément la raison qui m‘amène je viens récupérer les informations auprès de l’informateur que je paie à prix d’or pour cela. Que voulez-vous quand on veut ce qu’il y a de mieux, ou ce qui s’en rapproche le plus, il faut y mettre les moyens.

Je réfléchissais à tout cela en laissant mon regard dériver sur un paysage qui me semblait d’une platitude monotone. Une plaine à perte de vue avec quelques petites collines, l’herbe qui la recouvre à une teinte légèrement ocre, l’automne ne tardera pas à tirer définitivement sa révérence, et peut-être neigera-t-il sur la grande plaine de la porte du temps. Ce lieu est important, c’est ici que naissent les âmes errantes, ou plutôt qu’elles apparaissent. D’ailleurs voilà que se dessine dans mon champ de vision le passage qui crève le ciel de la pleine comme une plaie béante.

Hélas je n’eus pas le loisir de me poser plus de questions existentielles concernant le passage ou les âmes qui l’empruntent, un grand bruit et un cahot violent me propulse au bas de mon siège. En quelque secondes je me retrouve dans une posture qui convient fort peu à l’image d’une souveraine. Un vague instant de panique s’est emparé de moi sur le coup, réminiscence de souvenirs désagréables. Avant d’attendre la voix de mon cocher qui jure de la façon la moins convenable possible.

- Ca va ma p’tite dame ?

… Ma p’tite dame… je me sens à deux doigt de lui faire passer l’envie de se montrer aussi familier, non mais, sait-il seulement à qui il s’adresse ! Non bien sûr, et c’est là tout le problème, il ne doit pas le savoir, il faut donc que je me morde la langue et que je prenne sur moi.

- Mais enfin, que s’est-il donc passé !

Je ne peux m’empêcher de laisser poindre dans ma voix mon irritation alors que je me redresse et que je réalise que la carriole penche d’un côté. Je ne sais pas exactement de quoi il retourne, mais je ne suis pas stupide et dans cet état on ne risque pas de pouvoir rouler d’avantage.

- Trois fois rien m’dame, la roue s’est fait la malle, mais j’vais remettre ça en place. Par contre ça va m’prendre un peu de temps. Vous devriez en profiter pour prendre l’air z’êtes toute pâlotte !

De quoi je me mêle, je prends l’air si j’en ai envie, et il se trouve que je n’en ai pas envie. Cela dit je le vois qui me regarde fixement l’air d’attendre quelque chose, c’est alors que je réalise qu’il ne pourra rien réparer tant que je resterais à l’intérieur. Je déteste ne pas avoir le choix, alors dans un soupir de résignation je descends du véhicule. Le cocher m’observe du coin de l’œil, je suppose que mon « déguisement » ne suffit pas à changer ce que je suis, tant pis de toute façon il ne risque pas de me reconnaître quoi qu’il arrive.

- Très bien je vais faire un tour, mais je tiens à vous signaler que c’est la dernière fois que je fais appel à vos services !

Je n’eus droit qu’à un hochement de tête incrédule de sa part ce qui m’agace, une raison de plus pour tourner les talons et se diriger sans trop réfléchir en direction de la colline qui se trouve sous le passage. Après tout c’est l’occasion ou jamais d’aller l’observer de plus près. Et me voilà au sommet de la colline le nez en l’air en train de scruter l’insondable me demandant quelle magie eut bien être à l’origine d’un tel phénomène.